Le grain de Blé
C’est en Loir-et-Cher, dans la fertile Beauce qui s’avance fièrement jusqu’à Blois, bordée au nord par le Loir et les vertes collines percheronnes et au sud par la Loire et les grandes forêts solognotes, en ces paysages épurés et ouverts sur un ciel si cher aux peintres, que ma famille trouve ses origines, que je suis né et que j’ai grandi. Une terre de ciel et de silhouettes, tendue vers l’horizon où l’œil glisse sur les vastes étendues cultivées, où se révèlent finalement moins la terre que le ciel, et s’arrête sur les silhouettes trapues des villages et des clochers, des châteaux d’eau, des silos et des moulins. Autour des villages se lit la puissance de l’économie agricole, marquée par les monumentaux silos et les vastes fermes en cour carrée, aux grandes portes charretières et portes piétonnières traitées en arcs ou cantonnées de piliers, avec leur chaînage d’angle et leurs entourages de portes et de fenêtres en pierre. Elles imposent leurs allures massives au milieu de ces exploitations de plusieurs dizaines à plusieurs centaines d’hectares, baignant dans un océan de céréales ondulant aux vents printaniers, que l’été parsème de coquelicots et de bleuets tandis que les labours automnaux les érigent sur une immensité ouverte et aplanie de terre sombre et riche, soigneusement peignée par le soc des charrues. Dans la région d’Ouzouer-le-Marché, la Beauce de mon enfance, ces vastes fermes, qui jalonnent la Beauce dans la région de Chartres, sont rares et laissent place à des fermes petites et moyennes possédant aussi de nombreux hectares et un important bétail ; ces fermes sont de plus en plus modestes, pouilleuses, à l’approche du Perche, en allant vers Le Mans.
Oasis de verdure, resserrés sur eux-mêmes, isolés les uns des autres, où les arbres ne font qu’accompagner le bâti, les villages, entourés de jardinés sur leur pourtour, y sont de véritables transitions végétales, protectrices avec les étendues cultivées balayées par les vents, à la faveur des cours et des simples bas-côtés des rues, des chemins et des places.
C’est dans l’un de ces bourgs, à Ouzouer-le-Marché, dans le Loir-et-Cher, à la limite des vallées de l’Aigre et des Maures, que vécurent mes ascendants, à l’ombre du clocher en pointe, fièrement dressé, qui portait un coq en son sommet. Symbole familier de mon enfance, le coq de mon village, dont on le dit la tête dans les étoiles et les pieds dans le purin, surmontait une croix et tenait fièrement sa crête à hauteur des nuages. Il servait aux miens comme aux autres habitants à connaître le temps, il était une orientation, donnait le sens du vent. Juché au faîte du clocher, repérable quinze kilomètres à la ronde, il était le premier repaire du voyageur. Oiseau d’Hermès, messager des dieux, porteur d’espérance, que l’on dit aussi valeureux que le lion, le coq indiquait, à tous, leurs arrivées proches. Ce symbole gaulois, cet emblème national qui orne la poitrine des sportifs, marquait pour nous le renouveau, chassait les mauvais rêves. Nul besoin de réveil. C’est au chant des coqs qui se répondaient que le bourg s’éveillait.